Le savoir vivre et les usages du monde
Suite à un décès familial, je suis tombée sur un livre qui appartenait vraisemblablement à mes arrières grand parents, datant de 1928. La famille du coté de ma mère est en effet issue de la moyenne bourgeoisie, très respectueuse des traditions, et qui devint à la suite moins fortunée (suite à leur éviction dIndochine où ils vivaient en parfait colons) mais toujours très traditionaliste (ma mère me racontait par exemple quelle ne pouvait pas parler à table, avoir un petit ami publiquement, quon ne lui a pas expliqué ce qui lui arrivait quand elle a eut ses règles, etc. ). Ce livre, écrit par berthe bernage et donc intitulé « le savoir vivre et les usages du monde » est à lusage de femmes plutôt fortunées, en tout cas assez riches pour avoir des domestiques, et croyantes (catholiques surtout, mais aussi juives et protestantes) . Tous les aspects de la vie courante y sont précisément expliqué et réglementé, aucun geste nest fait au hasard. Jai trouvé amusant de le décortiquer afin davoir un aperçu de ce quétait lidéologie bourgeoise de cette époque, dont de nombreux aspects persistent aujourdhui dans un contexte économique un peu différent. La première partie est « la vie de tous les jours ». « La matinée », premier chapitre, explique précisément comment les maîtres et domestiques doivent se comporter, quoi manger, et quelles sont les modes à suivre. Ensuite il y a « le service des gens de maison », un nombre incalculable de gens, et lon y regrette le bon vieux temps des « serviteurs » mais on y apprend comment gérer ceux qui sont maintenant appelés « employés ». Leur tenue et la façon dont on et ils doivent parler et précisée : « nous appelons toujours nos gens par leur petit nom », « jamais de querelles en présence de nos gens. Jamais de blâmes infligé par le mari à sa femme( ) »,(sous entendu, il peut la blâmer en privé !)« les domestiques emploient la troisième personne pour parler à tous leurs maîtres ( ) le bébé lui-même a le droit dêtre nommé ainsi ». Le ton, extrêmement paternaliste, se veut respectueux de leurs droits et amical : « quand un serviteur se marie, on fait un cadeau. Sil le demande, on accepte dêtre son témoin ( )mieux vos décliner linvitation au repas de noce : la présence des maîtres peut-être gênante dans ce milieu simple ». Ensuite il y a « le rôle actif de la maîtresse de maison », puis « la vie daffaires » où lon sent la peur de lauteur (pourtant femme) pour le comportement féminin dans le milieu du travail, qui est cest bien connu, instable, susceptible et séducteur. « la vie mondaine de la matinée » explique ensuite tous les usages du déjeuner, les différents plats, comment les manger, un incroyable casse-tête. Le deuxième chapitre est « laprès midi » qui explique toutes les visites à faire (les bourgeois passent leur temps à ne faire que ça si on en croit ce livre !) de quoi discuter (si si) comment les organiser, etc, quoi et comment y manger, la vie intellectuelle (pliée en trois paragraphes) et la politesse de la rue. Jai retenu quelques passages super fendards : « les célibataires font des visites aux gens mariés, mais seul le mari rend la visite. Une femme ne va pas chez un célibataire », « les inférieurs, solliciteurs, anciens domestiques, fournisseurs, se présentent le matin », « jadis, il était de mauvais ton pour une jeune femme de sarrêter aux étalages. A présent, nous pouvons admirer à notre aise les charmantes vitrines ( ) bien entendu, nous éviterons les gravures, les statues peu convenables, les étalages de journaux illustrés ( ) en autobus, en tramway, en métro : ici, nous devons garder beaucoup de courtoisie. ( ) dans la cohue du métro, évitons les réflexions dédaigneuses sur la foule qui nous presse. Du moment que nous nous servons des voitures publiques, nous devons supporter sans nous plaindre de frôler des gens mal vêtus et des ouvriers se rendant à leur travail ». Le troisième chapitre est « la soirée » avec là encore, des pages et des pages consacrées aux différents dîners, avec des menus incroyablement alléchants et luxueux, (même si jai honte de dire ça pour une végétarienne), comment placer les invités, comment manger les plats, de quoi discuter, comment doivent se comporter les domestiques : « on ne parle pas aux domestiques. Ceux-ci ne se mêlent jamais à la conversation. On ne dit jamais merci aux domestiques qui servent ». Pour porter un toast : « les hommes boivent, les femmes peuvent tremper seulement leurs lèvres ». Les soirées dansantes, le théâtre, sont également expliquées : « il est permis de pratiquer les « danses-causées » cest à dire de parler au lieu de danser ; mais une jeune fille se fera remarquer de façon fâcheuse si elle abuse de ces conversations qui dégénèrent facilement en flirt ». Le quatrième chapitre est la correspondance, qui achève cette première partie ; là encore, les inférieurs et les supérieurs y sont tenu de garder leur place ! La deuxième partie est « la vie des grands jours ». Le premier chapitre est « la première enfance », autrement dit des conseils pour les jeunes parents. La liste des prénoms respectables y est citée. « cherchons surtout des syllabes harmonieuses, une tradition patriotique et familiale, le patronage dun grand saint( ) ne vaut-il pas mieux garder son nom aux consonances bien françaises ? » Le baptême, la layette et le choix de la nourrice sont bien entendu expliqués, la nourrice est dailleurs assez gentiment traitée par rapport aux reste des employés si lon en croit ce livre. Le chapitre deux sintéresse ensuite à la seconde enfance et la jeunesse, lenfant nest pas admis à table avant sept ans. « bien des familles, restant fidèles à une vieille tradition, veulent que les enfants disent « vous » à leurs parents. Cette manière de parler a une élégance respectueuse de très bon ton ». « les parents chrétiens nont pas le droit de mettre leurs enfants dans les mains déducateurs impies », « choisissons donc un établissement scolaire fréquenté par des familles appartenant au même milieu que nous. Il y aurait des grands inconvénients à laisser nos enfants frayer avec des enfants beaucoup plus riches queux ou au contraire dune éducation moins soignée ».Pour linstitutrice « on choisira une femme dâge mur pour entrer chez un veuf ou dans une maison où il y a de grands fils »(décidément, ces hommes sont dune lubricité ! incapables de résister à une jeune institutrice !). La première communion est bien sur très longuement expliquée. Le chapitre trois, consacré au mariage, devrait être cité en entier tant il est affligeant. Après la première rencontre amoureuse, arrangée par les parents et « sils se plaisent ( ) les parents sont mis en relation directe, afin de discuter les questions sérieuses. Généralement, ce sont les pères qui causent entre eux, indiquant le chiffre exact de la dot, la situation de la famille, les héritages prévus. En même temps, une enquête est menée discrètement au sujet de la moralité, du caractère. ». « Les fiancés peuvent sortir sans être accompagnés, sappeler par leur prénom, sécrire sans que leurs parents lisent leur lettres, échanger leurs photographies. Ils ne se tutoieront pas »(sous entendu, les parents ont, avant les fiançailles, le droit de lire les lettres de leurs enfants) ; « le mariage entre catholique et israélite ou musulman est formellement interdit ». La maladie et la mort sont ensuite abordés dans le chapitre quatre, les jours de fêtes dans le chapitre cinq,les relations avec les membres du clergé dans le chapitre six et avec les membres officiels dans le chapitre sept. La place des femmes y est, tout au long, extrêmement précisée : « carnaval : pendant les jours gras, il faut éviter de se mêler à la foule, si on redoute la grande liberté qui règne alors. On ne conduira pas les jeunes filles à la bataille de confetti ». La troisième et dernière partie est consacrée à « la vie au grand air », cest à dire le voyage, les villégiatures (autrement dit les bourges qui se rassemblent à la campagne dans une maison), les sports et encore une multitude de recommandation sur comment fumer, se moucher, etc, etc. A la mer « déplorons le laisser aller des baigneurs modernes, leurs costumes écourtés et collants, lhabitude de prendre, à peine vêtus, des bains de soleil sur la plage ».
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