L'apolitisme dans le milieu skinhead
Ou comment un mot dépourvu de sens déchaîne les passions

 

Apolitique : « qui est en dehors de la politique; qui ne s’occupe pas de politique » (petit Larousse)

Apolitique : « ni redskin, ni bones » (un skinhead)

Apolitique : « qui fait semblant de pas être nazi » (certains reds)

Dans la scène punk et skin, le mot « apolitique » est servi à toutes les sauces. Le mot « skinhead apo » est, pour certains, une tare qui semble être encore plus horrible qu’être skinhead nazi. Face aux fantasmes véhiculés par des personnes qui ne savent pas de qui elles parlent, il est temps de poser le problème calmement et intelligemment.

Pour cela je vais d’abord me tourner vers ceux qui se disent « apolitiques ».

Qu’est ce que c’est que la politique? Pour la plupart des gens, la politique est un espèce de concept regroupant des politicard encravatés et des syndicalistes moralisateurs, une soupe servie à la plèbe pour l’occuper pendant qu’on gère sa vie. C’est pourquoi le mot « politique » suscite chez de nombreuse personnes un fort rejet. « je n'aime pas parler politique » signifie souvent « j’ai peur que tu me batte par ton discours rodé alors que je sais ce que je pense mais je ne sais pas bien l’exprimer ». « je n’aime pas la politique » signifie souvent « je n’aime pas les politiciens , je n’aime pas les moralistes ». La plupart du temps, le fait de se dire apolitique traduit plus la méconnaissance de certains sujets ou le refus de se coller une étiquette trop réductrice. Mais dans certains cas, l’apolitisme est aussi un excellent prétexte pour des organisations politiques ou de individus de tolérer ou d’être à l’origine de comportements oppressifs. Or toute lutte sociale, tout individu est politisé. Pourquoi? Parce avoir une opinion politique signifie avoir une idée de la forme de société dans laquelle on serait le mieux. Hors à part quelques individus extrêmement nihilistes, nous avons tous une petite idée de ce à quoi nous aspirons. Que nous pensions cela réalisable ou non, que nous soyons ou non militants ne change pas le fait que l’homme est par nature un être politisé, puisqu’il est obligé de fréquenter d’autres personnes et, pour cohabiter avec elle, de créer ou subir un système de relations. Donc les personnes se disant apolitiques le sont rarement dans les faits.

Mais penchons nous maintenant sur le cas skinhead. Comme le mot « apolitique » ne signifie rien, cela signifie que les personnes qui vont se réclamer de cette appellation seront susceptibles d’être aussi différentes que les membres d’un club d’échec, ou je ne sais quoi! Les raisons qui poussent un skinhead à se dire apolitique sont innombrables, justes ou pas. Les personnes qui cataloguent donc les « skinheads apolitiques » dans un seul et même panier ne voient pas plus loin que le bout de leur nez ou le coin de leur rue. Une espèce de théorie du complot, de fantasme secoue notre scène. On cherche à tout prix à étiqueter les gens afin de se rassurer, le dialogue et la réflexion sont occultés au profit de raccourcis simplistes et de slogans réducteurs. Prenons mon exemple : au départ, l’étiquette anarcho a permit au fanzine d’avoir une amitié acquise dans les milieux anarchopunks et redskins. La réflexion politique n’était pourtant pas au centre des premier numéros (rappeler vous le premier jeu ou il fallait dessiner une bite!!) mais les collages et les slogans ont suffit à assurer au zine une étiquette de révolté, d’engagé. Les véritables convictions d’apatride, rare sont ceux qui sont vraiment allé les chercher. De même cette étiquette nous a assuré (et assure encore) de même que certains aspects de mon look, une réputation de punk à chien squatteuse je ne sais quoi chez les skins de droite, ce qui n’est pas pour me déplaire, mais je m’égare. Au fur et à mesure des numéros (et surtout depuis que je suis seule à la barre) l’esthétique d’apatride s’est assagie, le fond a prit le pas sur la forme. Selon moi, il me semblait évident que face à la teneur des chroniques, le coté politique était encore présent, voire plus qu’avant.

Mais voilà, l’étiquette anarcho avait était abandonné : une trahison pour certains anarchopunks! Et pire que tout, la scène apolitique avait été abordé de plus prêt : un crime impardonnable pour certains redskins! Des chroniques ont critiqué le fait que j’apprécie certains groupes, mais jamais pourquoi il ne fallait pas les aimer, à part le fait qu’ils étaient « apos ».

On est même allé jusqu’à me reprocher mes fréquentations ou mon look, qui pourtant n’ont pas changés, mais tout d’un coup elles devenaient douteuses! Pourquoi aimer un groupe peu engagé m’empêche-t-il de détester les racistes? Et d’ailleurs pourquoi y aurait-il plus de racistes dans le milieu skinhead qu’ailleurs? Pourquoi aimer un groupe entraîne t-il forcément une adhésion totale à leur discours? C’est absurde! D’un autre coté, le délire « anti-rouge » à tout crin n’est pas plus intelligent. Certes, nous récoltons ce que certains « libertaires », en collaborant avec des communistes, ont semé, mais de là à entraîner une haine totale pour tout ce qui est sensé être « rouge » (y compris les anars) il y a là une hypocrisie totale de la part « d’apos » n’assumant pas leur passion pour l’extrême droite. « je n’aime pas bolchoï » « ah bon, t’as écouté? » « même pas la peine, c’est des rouges! » certains jeunes skins n’ont pas encore compris qu’il existait en dehors du RASH une pensée anarchiste ou communistes, voire des redskins non RASHeux, on peut donc comprendre et excuser chez eux certains amalgames (même s’il y a des membres du RASH très gentils, là n’est pas la question, mais là on entre dans un délire de bande qui m’échappe, un peu comme une haine entre hooligans, basée sur d’étranges données. Haine avec laquelle le RASH et leurs petits camarades de bastons jouent le jeu, et c’est parfaitement leur droit, c’est aussi vieux que Paris ). Mais quand la haine non seulement n’est portée que d’un coté, mais en plus n’est qu’une haine bête et méchante contre toute pensée un tant soit peu sociale, il n’y a plus à tortiller du cul!Voilà donc ce qui arrivent à ceux qui refusent d’entrer dans un moule préétabli. (je vais passer pour une martyre là :) ) Le refus de cataloguer les gens est une démarche difficile à suivre. Au 100ème redskin qui vous traite de raceuse, au 100ème « apo » qui vous traite de sale gauchiste, au 100ème anarchopunk qui vous demande pourquoi vous avez changé (parce que vous avez changé votre parka pour un bomber!!!) vous avez franchement envie de les traiter tous, dans leur ensemble, de connards! Mais il y a des cons partout et heureusement, quelques personnes sincères et motivées vous redonnent le sourire!

Mon cas personnel n’est donné qu’à titre d’exemple. Je n’ai qu’un souhait, c’est que si vous croisez un skinhead, au lieu de lui demandez « t’es quoi? » vous prendrez le temps de taper un brin de causette : si c’est un nazi, vous en devriez pas tarder à vous en rendre compte (ou alors c’est que c’est un nazi très discret!!!) et si vous croisez un mec couvert de patchs et de slogans divers, n’en déduisez pas que ce type est un grand révolutionnaire… certains skins patchés « combat 84 » m’en ont plus appris sur la révolution russe que des temples ambulants à la gloire de conflict!

Bref on en reviens au vieil adage : l’habit ne fait pas le moine! Et j’y rajouterai « les ennemis de mes ennemis ne sont pas forcément mes amis! »