Jean Rollin

Pour la quatrième édition du festival Extrême Cinéma, la cinémathèque de Toulouse a eu la bonne idée non seulement de projeter en avant-première le dernier film de Jean Rollin, mais d'inviter ce dernier. On l'a interviewé à cette occasion, et il a bien voulu répondre à nos question (c'était la première fois que je vouvoyais la personne que j'interviewai!). On peut dire que Jean Rollin est le seul cinéaste fantastique français, en tout cas le seul à en avoir fait toute sa vie, plus précisément un mélange de vampirisme et d'érotisme. Il est arrivé à faire des choses superbes avec peu de moyens et avec détermination, c'est pourquoi il a tout à fait sa place dans un fanzine punk.

Si vous pouviez vous présenter, puisque comme il s'agit d'un fanzine plutôt musical les lecteurs ne vous connaissent pas forcement.
Je m'appelle Jean Rollin et je fais des films depuis 1967 qui sont tous ou presque du genre fantastique, films de vampires, etc J'ai du en faire dix sept ou dix huit à ce jour, et ici à Toulouse on présente mon premier film qui est "le viol du vampire" et mon dernier qui est "la fiancée de Dracula" qui n'est pas encore sorti mais qui sort à paris en principe en septembre.

Dans votre filmographie, les films que vous avez fait avant le viol du vampire sont très peu souvent cités..
C'est mon premier film "le viol du vampire", mais avant j'ai fait deux trois courts métrages.

Et à propos du documentaire que vous avez fait en Espagne, vous pouvez en dire deux mots ?
A l'époque c'était un film clandestin et financé par un mouvement de résistance espagnol, à l'époque de Franco, et on l'a tourné la-bas, évidemment sans autorisation et tout à fait en douce, et le film fait à peu près une demi heure.
Il existe ? Ah oui, mais moi je n'ai pas de copie, mais ce mouvement de résistance qui existe peut être toujours doit en avoir une. Il a été fait en 35mm et il a été projeté deux ou trois fois à l'occasion de manifestations...

On peut connaître le nom de ce mouvement ?
A l'époque ça s'appelait le MPR ce qui veut dire Moviento Popular de Resistencia, c'est un mouvement qui était né dans les prisons, de tendance plutôt anarchiste et il y avait un comité de soutien à ce mouvement, et à d'autre, en France, qui s'appelait le CARE, Comité d'Aide à la Résistance Espagnole et qui était dirigé par Jean Cassou et par Collette Audry, l'écrivain. Ce sont eux qui doivent avoir la copie du film. (pour plus de renseignement sur ces organisations, contactez Vendetta)

Et le sujet, c'était quoi ?
C'était un reportage, tout simplement. On nous avait donné quelques rendez vous à Madrid, à Barcelone.. où des membres de la résistance clandestine devaient nous attendre et nous emmener filmer des choses. Mais malheureusement il s'est trouvé une autre équipe de cinéastes qui filmait en même temps en Espagne, mais eux c'était pour un film beaucoup plus important, c'était Frederic Rossif et l'équipe de "Mourir à Madrid", et les autorités espagnoles savaient que cette équipe là tournait et les cherchaient, et ils couraient après nous en croyant que c'était eux... Enfin tout était un peu sens dessus dessous à ce moment là, ce qui fait que beaucoup des gens qui devaient nous attendre et nous piloter n'ont pas pu se montrer, alors on a du faire avec ce qu'on a trouvé. Notamment on a filmé le cimetière de la Légion Condor, cimetière nazi qui est à Lérida, des choses comme ça.. on a filmé dans les bidonvilles, des gens qui nous demandaient à manger...
Mais c'était un peu de l'improvisation quand même.

Vous avez aussi fait des films Pornographiques ?
A l'époque j'en ai fait quelques uns, parce que quand le film X est arrivé, ça a envahit toutes les petites salles qui projetaient le genre de films que je faisais, de la série B, toutes se sont reconverties dans le cinéma X, ce qui fait que je n'ai plus eu de possibilité de sortir les films que je faisais, et pour gagner ma vie, pour survivre, on a fait du X pendant un petit moment. Et puis les choses se sont tassées et la vidéo est arrivée, et l'exploitation X s'est faite surtout en vidéo, les gens préfèrent avoir une cassette chez eux et la voir tranquillement que d'aller dans les cinémas. Ce qui fait que certaines salles ont fermées et d'autres sont revenues au type de programmation qu'elles avaient avant, et de nouveaux on a pu sortir des films.

Mais il semblerait qu'il y ait un lien entre le cinéma disons Z et le cinéma X, il y a des actrices qui jouent des fois dans les deux, ou des acteurs, vous ne voyez pas de raisons particulières, outre le fait que ce soit des productions fauchées ?
Oui ça arrive, mais c'est très rare. Parce que les producteurs de films B, Z, tout ce que vous voulez, se prennent souvent au sérieux et méprisent les acteurs de X et ne les prennent pas pour ne pas être catalogués etc. Moi j'ai rencontré parmi les gens du X des comédiens ou des comédiennes que je trouvai très intéressants et que j'ai utilisé dans des films normaux, dans des films fantastiques.
On me dit souvent "Ah ben y'a unetelle qui joue dedans, on voudrais acheter la version X" mais y'a pas de version X "Alors pourquoi vous avez pris unetelle ?" ben parce que c'est une bonne comédienne et parce qu'elle a un physique qui correspondait au rôle.... "Mais puisque vous l'aviez, pourquoi vous n'en avez pas profité pour faire une version X ?" (rire) c'était très mal vu d'utiliser des acteurs de X dans les films normaux. Je me suis élevé chaque fois que j'ai pu contre cette espèce de ségrégation, parce que j'ai rencontré des gens tout à fait formidables dans les milieux du X.

Vous êtes arrivés à vivre de vos films une bonne partie de votre vie ?
oui

Et pour le financement, vous faites comment ?
Si le film d'avant a marché, je finance avec l'argent du film d'avant.. Mais ça dépend, chaque période est différente, je faisais appel dans le temps pour les premiers à des particuliers, à des capitaux privés, à des gens qui investissaient. Par exemple pour "le viol du vampire", c'est un américain qui vit à Paris qui a produit le film et en se faisant soutenir par tous les américains de Paris, c'est pour ça qu'on en voit deux ou trois qui avaient demandé un rôle dans le film. Il y en a un qui a un rôle parce qu'il avait donné 2000 dollars (rires). Maintenant que l'exploitation cinéma est pratiquement inexistante, pour monter un film il faut qu'il y ait la participation d'une chaîne de télé, hors ça c'est impossible.
Canal + a passé certains de vos films pendant quelques temps..
Oui, ils en ont passée sept ou huit. Maintenant canal + est en... disons difficulté, je sais pas quand je vais pouvoir refaire un film, parce que sans eux c'est très difficile pour moi.

Vous en avez un autre en projet ?
Oui, mais pour l'instant, ça dépend de l'avenir canal +, à moins qu'on puisse trouver ailleurs, évidement.

Parce que dans le cinéma, l'autoproduction ça n'existe pas ?
Ben si on a de l'argent personnellement, on peut s'auto produire, mais ce n'est pas mon cas (rire).

Et il faut beaucoup d'argent pour faire un film ?
je ne suis pas encore familiarisé avec les euros, mais disons en francs, un petit film coûte environ vingt millions, et moi je fais un film avec trois millions, trois ou quatre.
Je suis très très loin du prix normal de revient d'un film français.

Vous marchez dans d'autres pays comme ça arrive parfois ?
Oui, c'est en France que je marche le moins. Je marche très bien dans les pays anglo-saxons, en angleterre et aux états unis. Aussi un petit peu en Allemagne, mais en France c'est beaucoup plus difficile.

Mais j'ai l'impression qu'il y a un regain d'intérêt, par exemple Télérama ont fait un papier sur vous, je sais pas si ils l'auraient fait il y a quinze ans ?
Oui il y a eu un revirement en ce qui me concerne, j'étais la bête noire et maintenant je ne le suis plus.

Et concrètement vous pensez que de nouvelles personnes ont pu découvrir vos films ?
Oui, sûrement. D'abord parce qu'ils sont passés à la télévision. C'est vrai il y a eu un changement.

Dans "les raisins de la mort", on peut voir un fond écolo, et plus généralement j'ai l'impression qu'on peut voir dans la littérature ou le cinéma fantastique des vieux fond de gauchisme ou de fable écolo, vous en pensez quoi ?
Ben oui, ce ne sont pas des films militants évidement, mais pourquoi mettre ses idées dans sa poche. Effectivement il y a des allusions à l'écologie, à ce genre de choses...

Mais comment ce fait ce que dans ce type de cinéma ou de littérature on retrouve souvent une prédominance à ce genre de vision ?
Je sais pas, je n'ai pas remarqué de prédominance à ce genre de vision, mais ceci dit il n'y a pas de cinéma fantastique français pratiquement, donc je n'ai pas de point de comparaison.

Sinon dans votre dernier film vous utilisez des tableaux de Clovis Trouille, vous pouvez parler un peu de ce personnage ?
J'ai une grande admiration pour Clovis Trouille, j'en ai parlé chaque fois que j'ai pu, et j'ai mis des tableaux effectivement dans mon dernier film, je mentionne plusieurs fois dans certains de mes livres, et puis on m'a appelé le Clovis Trouille du cinéma aussi, alors bon..

Vous êtes un grand fan de BD aussi il parait ?
Je l'ai été. C'est à dire que j'ai eu une enfance et une adolescence faite par la BD et le cinéma, puisque à cette époque là il n'y avait pas de télévision, au début des années cinquante. Donc on avait un imaginaire qui était sollicité par les bandes dessinées qui étaient fort nombreuses et puis le cinéma de quartier, c'est à dire qu'il y avait des petites salles pas chères où on voyait tout un tas de films qui ne sortaient pas forcement dans les grandes salles d'exclusivité, donc c'est ça qui a façonné ma génération si vous voulez.

Vous n'en lisez plus alors ?
Si, je relis mainte et mainte fois tout ce que j'ai lu à cette époque la quand j'étais adolescent, je cherche dans les boutiques spécialisées, chez les collectionneurs... mais je dois dire qu'à part une ou deux choses dans les bds modernes, c'est très très loin de l'exaltation qu'on pouvait ressentir en lisant ce qu'on lisait dans l'immédiat après guerre.

Et alors c'était quoi les meilleures ?
Pour nous il y avait deux bandes américaines : c'était "Mandrake le magicien" et le "fantôme du Bengale", et il on avait deux bandes dessinées cultes qui paraissaient à cette époque là : l'une était italienne, un personnage qui s'appelait "Amok, et d'ailleurs je suis allé en Italie récemment, c'est réédité à un tirage limité pour les collectionneurs, c'est une bande célèbre en Italie, et la deuxième c'est une bande française, publiée par les éditions Pierre Mucheaux à Lyon qui s'appelait "Fantax" et j'ai gardé toute la collection et je dois dire que c'est même pas pensable aujourd'hui une bande destinée aux jeunes qui puisse paraître comme paraissait Fantax, qui est d'une violence absolument inouïe, bien supérieure aux mangas et des choses comme ça.

Et vous avez encore des projets ?
J'ai un projet qui s'appelle "la femme spectrale", qui est adapté d'une petite plaquette que j'ai publié, qu'on devait faire cette années, mais je pense qu'il est un peu tard pour espérer la faire en octobre mais qui se fera probablement vers le mois de mars de l'année prochaine.

Donc vous comptez pas vous mettre en congé, vous comptez faire des films le plus possible ?
j'ai un autre métier, j'écris et je suis éditeur, et maintenant que je n'ai plus vingt ans, mon autre métier prend le pas sur mon métier de cinéaste. Mais ne sachant pas faire autre chose, c'est ça que je veux faire tout le temps.

Vous êtes aussi éditeur ?
(Me montrant un stand à coté de nous) Vous voyez tout ça c'est nous.

Comment vous distribuez les livres ? Vous passez par la FNAC ou ce genre de chose ?
Dans les librairies, quelquefois à la FNAC (mais force est de constater que les libraires connaissent rarement, y compris dans les rayonnages dit spécialisés), mais aussi dans le circuit parallèles, les circuits un peu branchés.

Est ce qu’on vous appelle le Clovis Trouille de la littérature fantastique ?
(rire) Non, on me l'a pas encore dit.


REPONSES A DES QUESTIONS POSEES APRES LA PROJECTION DU VIOL DU VAMPIRE

"Ce qui m'intéressait, c'était pas plus les vampires qu'autre chose, mais je voulais faire un cinéma qui était un cinéma de l'irrationnel, un cinéma fantastique, un cinéma un petit peu surréaliste, délibérément. Hors le seul moyen de faire passer des images comme une femme qui sort d'une horloge c'était de l'adapter pour le fantastique. Quand un producteur me disait : "Mais enfin pourquoi vous filmez une femme qui sort d'une horloge ?", je lui disais : "c'est du fantastique", ça pouvait passer comme ça. Quand je montre au début une aveugle qui joue aux quilles, une image à laquelle je tenais beaucoup, le producteur américain, en bon américain rationnel, me dit: "Mais enfin, une aveugle, ça ne peut pas jouer aux quilles !" et j'ai dis "si, dans un film fantastique une aveugle peut jouer aux quilles" et je lui clouais le bec comme ça. Donc j'ai choisi la voie du fantastique, et dans la mythologie fantastique, la créature la plus proche de l'être humain normal, c'est le vampire. A part le costume particulier, la grande cape, les dents etc. c'est un homme physiquement comme les autres, alors que le Loup Garou il est défiguré, c'est un monstre, la momie elle est pas particulièrement attrayante non plus... Tout ce bestiaire fantastique qui déforme les personnages, ce n'est pas ça que je voulais faire. Et je préfère de beaucoup filmer les femmes que les hommes, on pouvait faire des femmes vampires, on pouvait pas faire des femmes loup garou, ça aurait fait rire, donc c'est pour ça qu'il y a des vampires, et essentiellement des femmes vampires."

"La plupart des films, c'est moi qui ai pris l'initiative, qui ai tiré les sonnettes des producteurs, des distributeurs etc. mais le temps aidant, quand on s'est rendu compte que je faisais des films, j'ai eu des commandes. Soit c'était des films qui m'intéressaient pas personnellement et à ce moment la je signais d'un pseudonyme, soit je m'arrangeais pour avoir un droit de regard sur le scénario, pour pouvoir le faire avec l'auteur ou faire un film que j'avais envie de faire. Les dix huit films sont des films que j'ai signé, ça fait vingt cinq si on compte tout, c'est des films que j'assume, les autres ou il y a un pseudonyme, je ne m'en sens pas vraiment responsable."

"J'avais pas recours systématiquement à l'improvisation, j'étais pas encore assez cinéaste pour ça. Simplement il se trouve que comme on était tous de jeunes débutants, au bout de huit jours de tournages, les quelques exemplaires du scénario étaient perdus. Le temps qu'on fasse venir des copies de Paris, on a tourné deux trois jours complètement en improvisation, et c'est arrivé une ou deux fois. Un jour par exemple on avait préparé un véritable enterrement avec un corbillard automobile, et puis on a pas pu l'avoir, les pompes funèbres ont finalement refusé. On s'est renseigné dans le pays et on a trouvé le dernier corbillard tiré à cheval qui existe en France et on a pu improviser une mise en scène autour de ce corbillard tiré par un cheval, finalement on était absolument ravis d'avoir une chose aussi extraordinaire qu'un corbillard à l'ancienne plutôt qu'un horrible corbillard automobile comme on faisait alors. Ce genre de petites choses ça a été des petits miracles et ça a été de l'improvisation, parce que évidemment on peut pas faire la même mise en scène avec un cheval qu'avec une automobile. Donc toute la scène, le curé avec la croix à l'envers ça a été de l'improvisation.
Par la suite, évidement j'ai tourné comme tout les débutants avec des découpages extrêmement précis, la camera fait ci, elle a tel objectif... Et puis je me suis aperçu au fil du temps que finalement c'était quelque chose de très nuisible pour moi, ça m'obligeait à faire des choses alors que j'aurais voulu en faire d'autres. Il y a une chose que les cinéastes oublient souvent, c'est que le temps passe, c'est à dire que quand vous écrivez un scénario, quand vous le découpez, vous avez un certain age, et c'est tel jour et telle date, et quand vous tournez le film, souvent il y a plusieurs mois qui ont passés, votre esprit a changé, et quand vous êtes sur le lieux du tournage, vous vous apercevez que vous avez d'autres idées, et ce que vous avez fait six mois avant vous correspond plus du tout. Alors à ce moment là à quoi sert la scénario ? C'est quand on arrive sur un plateau il y a un petit miracle du cinéma qui se produit, tout d'un coup, même quand on y a pas pensé avant, c'est la première fois qu'on voit le décor, tout d'un coup ça y est, c'est ce qu'on appelle, l'inspiration, on a la caméra là et puis ça part tout seul, il y a pas besoin de prendre référence sur un scénario ou sur un découpage. Pour "requiem pour un vampire" j'avais un scénario et un découpage très précis et je ne l'ai pas regardé une seule fois, mais ce n'est pas fait délibérément. Pourquoi avoir ce carcan qui m'oblige à faire des choses que j'ai pas envie de faire alors que c'est moi qui l'ai fait?"