Le Monde Diplomatique,
champion de l'anti-impérialisme sélectif.
En Afrique, l'Etat français est un grand criminel. Depuis l'octroi
des indépendances, il n'a pas cessé de soutenir des dictatures
et, bien souvent, d'entretenir des guerres civiles ou de fomenter des
coups d'Etat. Pour la classe dirigeante française, l'obtention
de débouchés, le pillage des matières premières
(pétrole, gaz, uranium, métaux rares, bois...) et l'influence
dans les institutions internationales (notamment à l'AG de l'ONU)
sont des enjeux considérables face auxquels les considérations
humanistes n'ont aucune valeur. Si les anciennes colonies françaises
sont partiellement mais surtout formellement indépendantes, l'Etat
français a mis en place un ensemble complexe de liens franco-africains
qui fonde le système néo-colonial: bases militaires assurant
la sécurité des intérêts français (Dakar,
Djibouti, Libreville, Port-Bouët, Bangui), « aide » bilatérale,
franc CFA, accords de coopération (militaires, économiques,
techniques et culturels), production et sélection de classes dirigeantes
francophiles. La situation économique de ces pays, souvent désastreuse
pour les populations, reflète la nocivité de ce système
et la profonde hypocrisie des proclamations françaises sur la solidarité
nord-sud. En France, cette domination néo-coloniale est largement
occultée. Les médias français préfèrent
évoquer l'impérialisme américain. Un journal s'est
même un peu spécialisé dans ce domaine. En faisant
dans chaque numéro la critique de la politique américaine,
Le Monde Diplomatique offre à l'Etat français une diversion
fort opportune.
Il va de soi que l'impérialisme américain doit être
combattu, particulièrement dans le contexte actuel d'offensive
« anti-terroriste ». Le Monde Diplomatique le fait et c'est
nécessaire. Cependant son anti-impérialisme est bien trop
sélectif pour être dénué d'intentions inavouables.
Pourquoi Le Monde Diplomatique, si prompt à dénoncer les
crimes de régimes soutenus par la CIA, ne s'en prend-il pas aux
Bongo, Eyadéma, Compaoré, Biya, Sassou et autres despotes
africains? Le règne d'un Houphouet-Boigny était-il plus
légitime que celui d'un Pinochet? Il semble que lorsque un dictateur
est un africain francophile, Le Monde Diplomatique juge la critique inconvenante
et déplacée. Pourtant, ce journal « citoyen »
devrait avoir à coeur d'alerter les français sur la politique
criminelle de l'Etat qui prétend les représenter. D'autant
plus que c'est sur cette politique, et non sur celle des Etats-Unis, que
la population française peut agir le plus efficacement.
Non seulement il n'y a jamais dans ce journal de véritable critique
de la politique extérieure française mais il faut aussi
remarquer que ses choix rédactionnels ressemblent étrangement
aux positions diplomatiques de l'Etat Français.
Tiers-mondiste comme la Vème République.
En ce qui concerne l'hostilité aux Etats-Unis, De Gaulle qui ne
faisait pas que mentir et dont l'anti-américanisme est bien connu,
a un jour déclaré: «N'oubliez jamais que nos alliés
sont aussi nos adversaires». De fait les Etats -unis sont des concurrents
menaçants particulièrement en Afrique où ils disputent
aux entreprises françaises «marchés tropicaux et méditerranéens
» et exploitation des matières premières . Depuis
la fin de la guerre froide cette rivalité inter-impérialiste
s'est dailleurs accentuée puisque les compagnies américaines
ont ravi aux capitalistes français des droits d'exploitation de
matières premières stratégiques de l'Algérie
au Congo-Kinshasa en passant par le Niger et les pays du golfe de Guinée.
Les Etats-Unies ont décidé de faire de l'Afrique l'une de
leurs principales sources d'approvisionnement pétrolier . L'existence
d'une offensive américaine contre les intérêts français
ne fait pas de doutes. L'Afrique est "l'un de nos plus gros partenaires
commerciaux potentiels" déclarait Bill Clinton en août
2000. Déjà en 1994, Philippe Leymarie évoquant l'aide
financière américaine à l'Organisation de l'unité
africaine écrivait dans Le Monde Diplomatique : "cette véritable
OPA sur la grande organisation politique africaine, si elle tient ses
promesses, fera pièce au dispositif militaire français qui
a servi dix-huit fois depuis 1960." Leymarie peut être rassuré,
le dispositif français est bien vivant mais sa phrase est révélatrice.
Récemment, dans une émission de France-Inter, l'importance
de cette offensive américaine a été confirmée
par Alexandre Adler qui, emporté dans son élan, a lâché
cette phrase précieuse sans être contredit par Colombani
: "L'offensive menée par les Etats-Unis contre la politique
de la France en Afrique qui a aboutit à de nombreuses catastrophes
(Adler pensait sans doute notamment à l'acharnement français
pour conserver le Rwanda) dont l'installation de la famille Kabila à
Kinshasa et ceci dans une attitude véritablement de confrontation".
Les mots employés par Adler témoignent de la vivacité
du conflit inter-impérialiste (Si cette expression peut paraître
"archaïque" à certains, la notion d' "Empire"
de Toni Négri, actuellement à la mode, ne permet pas de
comprendre les conflits africains).
Quant aux positions "anti-mondialisation" du Monde Diplomatique,
elles sont, au moins en partie, le produit de cet anti-américanisme
lié aux rivalités inter-impérialistes. Deux politiciens
éminents, Henri Emmanuelli et Jean-Luc Mélenchon en ont
fait l'aveu dans un article dont le titre reprend le slogan d'ATTAC :
"Un autre monde est possible". Ces pseudo-radicaux écrivent
: "c'est une lâcheté de faire mine de croire que l'ordre
économique actuel du monde est séparable politiquement,
diplomatiquement et militairement de l'hyperpuissance américaine".
Il faut avoir à l'esprit que l'ouverture des marchés africains
exigée par l'OMC et le FMI signifie l'arrivée de concurrents
très dangereux pour les capitalistes français. De plus la
manne financière accordée par le FMI aux oligarchies d'Etat
peut contribuer à retourner des régimes notamment en ce
qui concerne l'identité des bénéficiaires des privatisations
et l'attribution des marchés publics. Dans un article de janvier
1994, Philippe Leymarie écrit : "Désormais impuissante
à assurer seule le fardeau d'économies et de sociétés
en déroute, la France abandonne de plus en plus les pays de la
zone franc aux lois d'airain du Fonds monétaire international,
dominé par les Etats-Unis pour qui l'intégration de l'Afrique
francophone au marché mondial est un impératif à
la fois économique et politique." L'article nous apprend également
que "Dans son dernier rapport annuel, le Conseil des investisseurs
français en Afrique s'en prend d'ailleurs à l'approche anglo-saxonne
du libre-échange qui semble oublier les relations privilégiées
entre Paris et une partie du continent". C'est assez clair. Par bien
des aspects, les exigences du FMI constituent un grave danger pour les
intérêts des capitalistes français. Ainsi le FMI a
souhaité que les compagnies pétrolières gabonaises
"soient auditées une fois par an" (La lettre du continent,
26 juillet 2001). Depuis l'affaire Elf, on connaît (vaguement) l'importance
des détournements de l'argent du pétrole, de son rôle
dans le financement des partis politiques et du système de commissions
et de rétro-commissions qui l'accompagne. Aussi, en France et au
Gabon, chez ELF et dans les ministères, la demande du FMI n'a pas
dû être du goût de tout le monde... Notons que la rivalité
avec les Etats-Unis s'est encore intensifiée depuis la récente
poussée de l'unilatéralisme américain. Elle apparaît
désormais nettement dans le presse française. Compte tenu
du rapport de force international l'impérialisme français
et au-delà, l'impérialisme européen, empruntent les
voies détournées et mystificatrices du discours moral.
En ce qui concerne le soutien à la population palestinienne, une
autre grande position éditoriale du Monde Diplomatique, il est
sans doute légitime et nécessaire mais, dans le cadre français,
il ne doit pas être pris pour de la subversion puisqu'il correspond
à la politique traditionnelle de la Vème République
à la recherche d'atouts pour renforcer sa politique arabe face
aux Etats-Unis. Le Monde Diplomatique est tiers-mondiste comme la Vème
République. Celle-ci a toujours défendu "l'aide au
tiers-monde", ce qui se comprend aisément lorsque l'on sait
que l'aide est utilisée pour entretenir les régimes clients,
obtenir des marchés aux capitalistes tricolores (l'aide est en
grande partie liée c'est à dire assortie d'obligations d'achats),
garder le contrôle des matières premières et remplir
les poches des classes politiques françaises et africaines. Autrement
dit, l'aide est un des rouages essentiels du système néo-colonial.
En octobre 1981, à Mexico, François Mitterrand, s'adressant
aux peuples d'Amérique latine, lançait "un message
d'espoir à tous les combattants de la liberté". De
Gaulle, le père du néo-colonialisme français savait
très bien, lui aussi, jouer les héros du tiers-monde. En
1966, peu avant la guerre du Biafra qui allait faire 1,5 million de victimes
et qui était totalement entretenue par la France, de Gaulle le
tiers-mondiste partait à Phnom Penh discourir contre la guerre
du Vietnam. En France, il y eut des "Comités Vietnam"
mais pas de comités contre la politique française au Biafra.
En soutenant le Biafra, la France prétendait défendre "le
droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" alors qu'elle
disposait elle-même encore de Djibouti et des Comores (pour ne citer
qu'eux) et qu'elle était le principal fournisseur d'armes à
l'Afrique du sud de l'apartheid . En réalité, "le pays
des droits de l'homme" poursuivait deux objectifs : subtiliser aux
compagnies anglo-saxonnes les droits d'exploitation pétrolière
et déstabiliser le Nigeria, géant anglophone au coeur de
la zone francophone. Le Monde et avec lui Le Monde Diplomatique s'ingénièrent
à masquer la responsabilité française, préférant
remplir leurs colonnes d'articles sur l'urgence humanitaire et sur les
ventes d'armes britanniques au Nigeria.
Au cours des années 60, Le Monde Diplomatique était sous-titré
: "Le journal de la coopération et des organisations internationales".
Evidemment, il ne fallait pas attendre du "journal de la coopération"
une remise en cause de la politique française, précisément
dite "de coopération ". Ce sous-titre était comme
un témoignage de son adhésion idéologique au projet
néo-colonial de l'Etat français.
La légende d'Hubert Beuve-Méry.
Le Monde Diplomatique a été créé en 1954
par le journal Le Monde alors dirigé par Hubert Beuve-Méry.
Premier directeur du Monde Diplomatique, il est souvent présenté
comme l'illustre fondateur, le modèle déontologique, l'autorité
morale. Le Monde a construit la légende d'Hubert Beuve-Méry
et affirme encore quotidiennement qu'il s'agit de son fondateur. En fait,
pour être plus exact (plus honnête), il faudrait écrire
que Le Monde a été crée par l'Etat français
puisque Hubert Beuve-Méry a été nommé directeur
du Monde en 1944 par le ministre de l'information Pierre-Henri Teitgen.
De Gaulle disait avoir besoin du Monde "pour l'extérieur".
Il voulait aussi "un journal de prestige" qui remplisse "une
fonction de service public" et qui soit "un instrument de la
conscience nationale". Les autres dirigeants et propriétaires
du journal, tous bons bourgeois patriotes, ainsi que les journalistes,
ont eux aussi été choisi soit directement par le ministère
de l'information, soit avec son aval. Lorsqu'il est nommé à
la tête du Monde, Hubert Beuve-Méry a déjà
derrière lui un passé de serviteur de l'Etat. En 1934 il
est correspondant du Temps à Prague. Or "l'usage veut que
le correspondant, dans une capitale étrangère du journal
officieux de la IIIème République soit dans la mouvance
de l'ambassade de France." Pendant la guerre, il dirige le bureau
des études de l'école d'Uriage, fondée par le gouvernement
de Vichy pour former les cadres dirigeants du pays. A la libération,
Georges Bidault lui propose un poste d'ambassadeur à Prague, qu'il
refuse.
Le Monde diplomatique a donc été créé par
un journal fondé par l'Etat. Le Monde a pour actionnaires des groupes
largement investis en Afrique: Totalfina, la BNP, le Crédit agricole,
la Compagnie financière de Suez, Thomson , etc. Le Monde contrôle
toujours le capital du Monde Diplomatique qui détient lui-même
des participations importantes dans Politis et Témoignage chrétien,
deux journaux qui relaient très bien le mouvement "anti-mondialisation".
Jean-Marie Colombani, directeur du Monde et qui a montré de troublantes
proximité avec la DGSE, est président du Conseil de surveillance
du Monde Diplomatique. Les liens entre les deux journaux sont très
forts. Claude Julien qui a été chef-adjoint du service étranger
du Monde de 1960 à 1968 et chef de ce service de 1968 à
1971, a dirigé Le Monde Diplomatique de 1973 à 1990. Sous
sa direction, la dénonciation de l'impérialisme américain
a été accentuée. Officier de la légion d'honneur,
il est l'auteur de "L'empire américain", un livre qui
paraît au moment où Claude Julien prend la tête du
service étranger du Monde. Ce livre a été primé
(Prix Aujourd'hui 1968) par quelques pontes du journalisme français
dont Jacques Fauvet, futur directeur du Monde, et Louis-Gabriel Robinet,
directeur du Figaro. Bien médiatisé, il eut un impact important
notamment chez les étudiants. Au même moment, la France finançait
et armait la sécession biafraise... En fait, en matière
de politique étrangère, Le Monde et Le Monde Diplomatique
disent souvent la même chose mais d'une manière différente.
Le Monde c'est la prétention à l'objectivité d'articles
apparemment équilibrés et mesurés. Le monde Diplomatique
par contre choisit le ton de l'engagement et du militantisme. Mais sur
le fond, les deux journaux attirent l'attention de leurs lecteurs sur
les mêmes crimes, les mêmes enjeux, les mêmes responsabilités.
Aucun ne remet en cause les grands intérêts capitalistes
et géopolitiques français.
Au cours des années 70, Philippe Decraene, chef de la rubrique
africaine du Monde, écrit fréquemment dans Le Monde diplomatique.
Il est notamment l'auteur d'un article complaisant sur le Congo-Kinshasa
de Mobutu parut en janvier 1970 et titré : "Sur la voie de
la prospérité". En juillet 1974, Le Monde Diplomatique
édite un supplément sur le Gabon intitulé: "Le
Gabon, Etat pilote de l'Afrique centrale". Dans ces 9 pages de publi-reportages,
Philippe Decraene titre son article: "Une politique extérieure
réaliste". Dans le numéro du mois d'août 1982,
son article est titré : "La Côte-d'Ivoire, symbole de
prospérité et de stabilité".Voilà comment
on traite les dictatures françafricaines dans Le Monde Diplomatique
: avec la politesse due aux amis qui d'ailleurs la rendent bien puisque
Philippe Decraene, officier de la légion d'honneur, a également
été décoré dans la plupart des pays d'Afrique
francophone (Grand officier de l'étoile équatoriale du Gabon,
officier du mérite nigérien, du mérite centrafricain,
de l'ordre sénégalais du lion etc). Philippe Decraene a
occupé le poste stratégique de vice-président de
l'association des journalistes d'outre-mer, ce qui n'est pas surprenant
puisqu'en matière d'information africaine, Le Monde donne le ton
au reste de la presse française.
Lorsque au début des années 60 l'armée française
est intervenue au Cameroun pour protéger le régime néo-colonial
d'Ahmadou Ahidjo, bombardant des villages au napalm et massacrant des
dizaines de milliers de personnes, Le Monde n'a pas jugé utile
d'en informer ses lecteurs. Indigné par l'anti-impérialisme
sélectif de l'intelligentsia française, Mongo Béti
intitula un des chapitres de Main basse sur le Cameroun : "Honte
et malédiction sur les Vietnam des autres."
Dissimulations citoyennes.
En 1994 s'est perpétré un des pires génocides du
XXème siècle. Le génocide rwandais a fait près
d'un million de victimes en trois mois. Le "pays des droits de l'homme"
a soutenu les bourreaux financièrement et militairement (opération
Noroît, livraisons d'armes, opération turquoise...) avant,
pendant et après le génocide. Sans la France, il n'y aurait
pas eu de génocide rwandais. Après avoir couvert la retraite
de Forces Armées Rwandaises (FAR), et des miliciens qu'il avait
formé et équipé, l'Etat français les utilisa
pour défendre le régime finissant de "l'ami" Mobutu.
Logiquement, Le Monde Diplomatique, soi-disant tiers-mondiste et anti-impérialiste,
aurait dû s'indigner de la complicité française dans
le dernier génocide du siècle. Celle-ci n'est pas un détail
de l'histoire de France. Elle méritait au minimum quelques éditoriaux
virulents. Aucun éditorial ne traita ce sujet. Le Monde Diplomatique
se contenta de rapporter dans des pages intérieures des informations
déjà parues dans d'autres journaux, notamment dans la presse
étrangère. Au mois de juin 1994, au lieu d'appeler ses lecteurs
à exprimer leur révolte contre la politique effroyable de
la France, Philippe Leymarie intitule son article : "La France et
le maintien de l'ordre en Afrique". Il y écrit : "cet
effort en matière d'aide à la sécurité et
au maintien de l'ordre est combiné avec les actions purement civiles
du ministère de la coopération, en partie consacrées
à la promotion de l'Etat de droit". Il est vrai que le mois
suivant, il signe enfin un article sérieux ("Litigieuse intervention
française au Rwanda"). Mais au final, Le Monde Diplomatique
ne donna absolument pas à ses lecteurs la mesure du scandale de
l'implication française.
En 1997 le dictateur Denis Sassou Nguesso revient au pouvoir par les armes
au Congo-Brazzaville. Le Monde Diplomatique a-t-il critiqué la
politique française qui a rendu possible ce come back? Evidemment
non. Un article se contente de cette interrogation : "Quels comptes
M. Sassou Nguesso aura-t-il a rendre à ceux qui l'ont vraisemblablement
aidé ( l'Angola, le Gabon, la France, Elf) et à ceux qui
apparemment avaient pris quelques distances à son égard
(l'ex-Zaïre, le Rwanda, l'Ouganda, les Etats-Unis)?" Enfin l'article
conclut poliment : "Pour le moins, refaire l'unité nationale
au Congo sera une tâche ardue". On ne va quand même pas
demander des comptes à ceux qui agissent en notre nom...
Si l'on observe quelques articles récents, les signes de complaisance
vis à vis de l'impérialisme français ne manquent
pas. Madagascar vient de connaître une crise politique aux conséquences
économiques désastreuses. Le Monde diplomatique aurait pu
s'indigner du soutien jusqu'auboutiste de l'Etat français au dictateur
Didier Ratsiraka. Mais il est vrai que son rival Marc Ravalomanana, qui
est maintenant Président, est réputé proche des américains.
Le Monde Diplomatique a préféré attirer l'attention
sur "Les racines culturelles de la crise Malgache" (mars 2002).
Dans le numéro d'avril, un article ("Mayotte assiégée
par les gueux") nous explique que le rattachement de Mayotte aux
Comores n'est pas souhaitable, au mépris des revendications comoriennes
et des nombreuses résolutions de l'Assemblée générale
des nations unies. La France n'a pas l'intention d'abandonner ce point
d'appui dans l'océan indien, d'autant plus que Mayotte est sur
la route du cap par laquelle est acheminé le pétrole du
moyen orient.
Au mois de juin 2002, un article intitulé "L'Union européenne
sous le feu de la critique" reproche à l'accord de Cotonou
(passé entre l'union européenne et les pays d'Afrique, des
Caraïbes et du Pacifique) de prévoir la suspension de l'aide
en cas de violation des principes démocratiques. L'auteur n'hésite
pas à écrire: "Il faudra laisser aux pays ACP en général
et aux pays africains en particulier la possibilité de se prononcer
sur chaque litige. En effet, un camp (l'union européenne) ne peut
pas prendre la décision ou la sanction qui concerne l'autre camp
sans l'avis ou le vote de celui-ci." Etant donné que les tyrans
africains ne vont pas se sanctionner eux-mêmes, cette position revient
à défendre, non pas les africains comme l'article voudrait
le faire croire, mais les dictatures françafricaines. Pour un journal
soi-disant à la pointe du progressisme, il fallait oser.
Au mois d'août, un autre article prétend défendre
les africains. En réalité il sert parfaitement les intérêts
des grands groupes forestiers français (Bolloré, Interwood,
Rougier...). Au prix d'une belle supercherie. L'auteur de l'article intitulé
"Comment préserver la forêt" reproche aux écologistes
de ne pas tenir compte des intérêts économiques africains.
Il cherche à dissiper les inquiétudes : "Les bailleurs
de fonds - la France, la banque mondiale - ont financé des plans
de gestion et d'exploitation rationnelle". L'auteur nous explique
qu'il n'y a pas lieu de militer contre la déforestation. Il souligne
que "certains engagements écologistes sont le produit d'un
sentimentalisme issu de nos cultures occidentales." Voici maintenant
quelques informations que l'article se garde bien de donner. L'exploitation
du bois, au-delà de ses conséquences strictement écologiques,
est souvent profondément néfaste pour les paysanneries africaines.
Le 22 mars 2002, 7 agriculteurs camerounais ont porté plainte contre
le groupe français Rougier et sa filiale camerounaise SFID devant
les tribunaux français pour exploitation illégale de bois,
destruction de biens appartenant à autrui, escroquerie, recel,
corruption de fonctionnaire. Le dossier réalisé par Les
amis de la terre et l'association SHERPA précise que "En mai
1999, la Société Forestière de Doumé (SFID)
procède à une coupe illégale de diverses essences
de bois à l'insu des propriétaires (qui ont regagné
leur village), et, pour accéder aux zones forestières ,
construit des pistes traversant certains champs. Cette opération
illégale provoque la destruction de certaines cultures (arbres
fruitiers) et certains planteurs ont dû renoncer depuis ce jour
à une activité qui représentait leur seule source
de revenu." La France est le premier importateur mondial de bois
africain. Aujourd'hui, le pillage des forêts du bassin du Congo
continue. Le Monde Diplomatique aurait pu faire savoir à ses lecteurs
que près de 50% du bois exotique importé en France est abattu
dans des conditions illégales. Il aurait pu signaler que, au sein
du conseil de sécurité, la France (avec la Chine) s'est
opposé à l'instauration d'un embargo sur le bois du Libéria
alors que les revenus de l'exploitation forestière sont utilisés
pour le trafic d'armes, au Libéria et en Sierra Leone . Mais Le
Monde Diplomatique préfère sans doute servir l'Etat français.
Dans le numéro de septembre, Le Monde Diplomatique utilise le concept
de "néo-colonialisme" mais il s'agit de stigmatiser un
concurrent ("Lévangile néo-colonial de M. Blair").
Par ailleurs, chacun pourra vérifier l'absence de critiques vis-à-vis
de la France dans l'article d'Aminata Traoré ( "L'oppression
du développement"). Elle s'en prend par contre aux "tenants
du tout marché, en particulier la très puissante administration
américaine". Pour les capitalistes français, dont les
positions en Afrique ont longtemps été relativement peu
disputé, la concurrence se fait rude sur les marchés africains.
Un journal très bien subventionné.
Il existe un fond d'aide "à l'expansion de la presse française
à l'étranger". Avec les 750 000 exemplaires de ses
éditions allemande, arabe, espagnole, grecque, italienne, mexicaine,
suisse, autrichienne, argentine, chilienne, portugaise et anglaise, Le
Monde Diplomatique doit en être un des principaux bénéficiaires.
Ce journal soi-disant contestataire est donc un des journaux français
les mieux subventionné, voire le journal français le plus
subventionné au numéro. Dès lors, il est inutile
de s'étonner que le forum mondial de Porto Alegre, largement organisé
par Le Monde Diplomatique (avec "l'association brésilienne
des patrons pour la citoyenneté") ait été subventionné
par le ministère des affaires étrangères . On peut
par contre se demander si ce forum n'était pas une sorte de cheval
de Troie de la diplomatie française au coeur de la "chasse
gardée" américaine. Quoiqu'il en soit, il faut souligner
que la diffusion de l'information à l'échelle internationale
est un enjeu considérable. Les Etats ont toujours cherché
à influencer les opinions publiques des pays étrangers .
Les médias sont des acteurs des relations internationales. En influant
sur les opinions publiques, ils permettent de modifier des rapports de
force, d'accompagner des politiques voire tout simplement de les rendre
possible. Par exemple, Le Monde est un journal très lu en Afrique
francophone. Des analyses trop critiques vis-à-vis de la politique
française poseraient bien des problèmes à la France
et à ses alliés. Les Etats-Unis contrôlent CNN, la
France quant à elle dispose de RFI et du Monde Diplomatique. Son
indépendance affichée permet à l'Etat français
de ne pas assumer tous les articles et garantit la crédibilité
et donc le lectorat du journal.
Le Monde Diplomatique contient de très bons articles, véritablement
critiques, sur des sujets divers. Sa qualité fait la qualité
de sa propagande. Elle est la condition de son influence idéologique
de la gauche à l'extrême gauche politique, syndicale et associative.
L'expression "Appareil idéologique d'Etat" de Louis Althusser,
qui désignait notamment les médias, semble particulièrement
appropriée. De même, il faut lire ces phrases de Pierre Albert,
un spécialiste des médias qui n'est pas connu pour son gauchisme
: "De tout temps et en tout lieu la propagande a été
l'auxiliaire du pouvoir: propagande interne pour convaincre les gouvernés
de la légitimité de l'Etat ainsi que de la sagesse de l'action
gouvernementale ; propagande externe pour magnifier à l'étranger,
l'image du pays et soutenir ses opérations diplomatiques et militaires."
Instrument de la diplomatie française à l'extérieur,
instrument de contrôle idéologique à l'intérieur,
ce journal très patriote doit avoir pour devise: "L'impérialisme
c'est les autres". Quant aux militants internationalistes, qui ne
s'identifient à aucun Etat et qui ne possèdent aucun gisement
minier en Afrique, il leur faut éviter de suivre cet anti-impérialisme
sélectif et unilatéral, et par là même de se
fourvoyer dans l'accompagnement d'une stratégie qui leur est étrangère.
Tous les impérialismes méritent d'être dévoilés
et combattus, celui de la première puissance mondiale comme celui
de l'Etat qui prétend nous représenter.
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