Le Mouvement pour les droits des gays et des lesbiennes va faire son shopping

Voici un texte que j'ai trouvé sur le site british de http://www.queeruption.com et qui m'a vraiment plu. Tellement que j'ai décidé de le traduire gracieusement pour BangBang. Le texte vient des Etats-Unis mais tu verras que les arguments de l'auteur sont facilement transposables à la France ou à d'autres pays européens. Je précise aussi que le texte date de mars 2001.Bonne lecture !

Envisager une alternative anarchiste aux choix politiques des gays et lesbiennes

Notre vision d'une société libérée des oppressions homophobes et sexistes, nos rêves de libération, ont été volés par les dirigeants bien placés et privilégiés du mouvement-pour-les-droits-des-gays-et-des-lesbiennes. A leurs places, on nous propose une vision totalement différente, celle d'une « nation gay et lesbienne » homogène et opulente, dans laquelle nos identités et notre émancipation sont des marchandises en relation directe avec notre pouvoir de consommation, et à travers lequel nous finirons tous par occuper la place qui nous revient de droit à la table du rêve Américain. Cette ambition est terriblement inquiétante et pas seulement parce qu'elle n'a absolument rien à voir avec la dure réalité à laquelle nous devons faire face dans une économie politique capitaliste rigide qui s'organise suivant les hiérarchies de systèmes superposés de contrôles et de répression. Comment un mouvement social et politique avec un tel potentiel révolutionnaire et des débuts aussi radicaux a-t-il pu se planter de façon aussi flagrante? Un rapide survol des principes dominants et des stratégies des organisations politiques gays et lesbiennes les plus largement visibles dans ce pays, parmi lesquelles « The Human Rights Campaign » et la « National Gay and Lesbian Task Force » est très instructif et donne une idée de la régression du mouvement dans des choix politiques consensuels et inefficaces. Avec l'émergence simultanée de l'épidémie du Sida et de réactions brutales des chrétiens fondamentalistes contre l'émancipation des gays et des lesbiennes au début des années 80, ces importantes organisations pour les droits des gays et des lesbiennes ont adopté petit à petit une approche « intégrationniste » qui cherche à assimiler complètement les gays et les lesbiennes dans le paysage social et politique Américain.

Les fondations de ce projet activiste sont :

~ Des lobbies se forment de façon intensive au sein des gouvernements, locaux, d'Etat et fédéraux, avec pour objectif de gagner des concessions légales telles que le renforcement des lois luttant contre les crimes de haine, le passage de lois interdisant les discriminations contre les gays et les lesbiennes dans le cadre du travail et du logement, et la reconnaissance légale des couples gays et lesbiens ; en construisant des alliances avec des politiciens libéraux et des membres du gouvernement du parti Démocrate et, de façon surprenante, aussi du parti Républicain.

~ Une campagne, pour convaincre la majorité hétérosexuelle que les gays et lesbiennes ne sont résolument PAS ni déviants ni une menace pour les notions de hiérarchie sociale et patriarcale - que nous sommes « tout comme eux » - , comme une réponse à des provocations politiques spécifiques (les efforts des relations publiques pour s'opposer à des initiatives de scrutins ou de lois anti-gays et lesbiennes par exemple), et comme un élément d'une politique culturelle plus large (l'apparition dans les programmes de divertissements des mass médias d'images « normales » de gays et de lesbiennes non-menaçants-tes, blancs-ches, de classe moyenne).

Ainsi le mouvement contemporain pour les droits des gays et des lesbiennes a laissé de côté l'opportunité de faire une critique substantielle du capitalisme d'entreprise ou du pouvoir de l'Etat. Au lieu de ça, le mouvement a choisi consciencieusement de s'aligner sur les factions « progressistes » de l'Etat et de l'Amérique des entreprises afin, on suppose, de construire et de sauvegarder la base d'un pouvoir politique. Jugeant cette stratégie strictement sur la base de sa propre logique, et de ses mérites, les résultats sont en priorités des groupes politiques gays et lesbiens qui ont lamentablement échoué. Cet échec est le résultat de tensions internes et de contradictions au sein du mouvement-pour-les-droits-des-gays-et-des-lesbiennes, des contradictions qui ramènent à l'incompatibilité fondamentale entre la lutte pour la libération et un compromis avec une économie et un système politique oppressif et violent qui nous exploite.

A nouveau le piège des solutions étatistes.

L'activisme sans conflit des groupes << mainstream>> gays et lesbiens, subventionnés sans effort et sans cesse sous le contrôle du Congrès et des gouvernements d' Etat donné quelques résultats concrets, dont fait partie l'adoption marquante d'un projet de loi d'« union civile » dans le Vermont, l'année dernière. Mais la portée et l'efficacité de ces victoires sont fortement limitées pour des raisons qui remettent en question la logique même d'un recours à l'autorité de l'Etat en tant qu'agent pour le changement social. La grande priorité accordée aux politiques électorales par des groupes tels que « the Human Rigths Campaign » est particulièrement problématique. Même avec tout l'argent et le travail des activistes pour mettre en place une législation surtout symbolique mettant hors-la-loi des formes superficielles de discriminations contre les gays et les lesbiennes, des églises ante-gays et lesbiennes et des groupes tels que « Focus on the Family «, bien organisés, ont réussi à travailler encore plus efficacement au sein du pouvoir étatique. De nombreux Etats sont soit revenus sur des lois non-discriminatoires soit, sur ordre de lobbies politiques ou de politiciens ultra-conservateurs, ont fait passer des lois ouvertement homophobes dans les années 1990. Les limites du pouvoir de l'Etat dans la protection de la sécurité physique et de la dignité des gays et des lesbiennes deviennent d'autant plus flagrantes quand on prend en considération la nature de la plupart des oppressions et des violences homophobes. L'état de guerre politique et culturel déclaré contre les gays et les lesbiennes et imposé par l’extrême droite s' accompagne d'une guerre non-déclarée encore plus dangereuse menée contre les gays et les lesbiennes dans la rue, les écoles et souvent au sein même des institutions de l'Etat, particulièrement au sein du système des prisons. Plus de 1400 crimes de haine contre les gays et les lesbiennes ont été rapportés au FBI en 1998, un chiffre sans aucun doute beaucoup plus élevé quand on prend en compte le nombre d’actes violents jamais rapportés à la police et les définitions étroites et légalistes des «crimes de haine», utilisées par la police et les procureurs. La situation des jeunes gays et lesbiennes est particulièrement dangereuse; ni les institutions qui font les lois, ni les établissements scolaires n'ont montré la moindre disposition à empêcher les intimidations systématiques et la violence auxquelles les jeunes gays et lesbiennes ont à faire face dans tous les collèges. Travailler au sein du système, avec les outils du système a été un échec, de la façon la plus absolue et la plus spectaculaire qui soit, dans la protection des gays et des lesbiennes des agressions les plus dévastatrices auxquelles nous faisons face dans une société homophobe. Cet échec devrait nous forcer en tant qu'activistes radicaux à repenser notre dépendance vis-à-vis de la partie «progressiste» de l’Etat. La signification réelle de la quête inébranlable du mouvement-pour-les-droits-des-gays-et-des-lesbiennes pour « avoir sa part du gâteau » devient d'autant plus claire quand on examine le rôle que joue le capitalisme d'entreprises dans la détermination des priorités et des tactiques de la lutte « mainstream » pour la libération des gays et des lesbiennes. Pensant que le chemin le plus sûr vers le pouvoir social et politique repose sur « notre» portefeuille, ces dernières années, de grandes organisations gays et Iesbiennes ont fortement affirmé qui le pouvoir potentiel de l’Amérique gay et lesbiennes reposait sur la masse unie de consommateurs aisés. Un chant populaire entendu à la récente marche du Pride Day à Burlington dans le Vermont «We’re here, We are Queer, We shop» (!) («Nous sommes là, Nous sommes Queer, Nous consommons»)- illustre parfaitement la prétention et le classicisme de l’hypothèse que le pouvoir d’achat est une forme suffisante d’influence politique, que nous (ou, en tous cas, le «nous» universel qui fait référence aux gays et lesbiennes de classes moyennes et aisées) pouvons acheter notre libération de l'homophobie écrasante de cette société. Les illusions qui sous-tendent cette stratégie seraient plutôt comiques si elles n’étaient pas caractéristiques d'une tendance plus importante et plus dangereuse au sein de l'activisme gay et lesbien « mainstream » - l'apport d'argent venant d'entreprises qui a permis à cette idéologie cynique d'être la référence en matière d'action. L'importante main mise des entreprises sur la lutte gay et lesbienne fonctionne sur de nombreux niveaux différents, mais son impact le plus immédiat a été de confirmer l'engagement des dirigeants du mouvement au service de privilèges économiques et, de façon substantielle, de détourner les priorités du mouvement loin d’une vision d’une lutte plus militante et plus anti-autoritaire. Les Gay Pride sponsorisées par des entreprises et la transformation de telles actions publiques en véritables paradis du consommateur avec des stands et des expos commerciales, ne sont que le symbole le plus apparent de l’influence de l’influence capitaliste. Une grande partie de l’organisation politique assurée par «the Human Rights Campaign» et des groupes similaires est subventionnée par des dons importants d’entreprises multinationales : American Airlines et Verizon, qui ont toutes deux un passé de conflits avec leurs employés et de tentatives d’écraser les syndicats, sont aussi des sponsors importants et des millions de dollars ont été donnés par des CEO (Chief Executive Officier) ouvertement gays tels que David Geffen pour la formation de lobbys politiques gays et lesbiens et pour l’organisation d’élections. De plus, de nombreuses autres grosses entreprises aux pouvoirs immenses dans les télécommunications et l’industrie de défense telles que Disney et General Electric sont présentes, sans aucune critique, par le mouvement comme des alliés dans la lutte par le fait des avantages qu’elles offrent, vis-à-vis des assurances aux partenaires de même sexe de leurs employé-es aux cols blancs. Il n'est pas surprenant que l'interconnexion profonde entre le pouvoir des entreprises et l'activisme gay et lesbien ait découragé le développement de critiques même légères du capitalisme et du pouvoir de l'état à l'intérieur du discours politique gay et lesbien. Ainsi, la tendance du mouvement à se focaliser sur les petites concessions gagnées par des employée-s de classe moyenne et à invoquer la menace d'une classe mondiale supérieure gay et lesbienne comme une illustration d'une potentielle émancipation, nie l'existence même de millions de gays et lesbiennes pauvres ou de classe ouvrière. Cela dévalorise et ignore aussi l'exploitation économique réelle dont ils/elles souffrent de la part de la même structure de pouvoir capitaliste que les dirigeant-e-s du mouvement considèrent comme leur allié et leur mécène. Cette contradiction inhérente, qui prône la réforme au sein du pouvoir de l'état et des structures d'entreprises alors qu'elle refuse de reconnaître la violence dont souffrent les gays et les lesbiennes non-blancs-ches et non-riches (sous la forme de pauvreté, de violences policières dans les communautés de couleur, dans les prisons, etc ... ), fait clairement apparaître la nécessité pour les gays et les lesbiennes radicaux -cales de reconquérir ce mouvement sur le déclin.

Un pas vers un mouvement gay et lesbien anti-autoritaire / anti-capitaliste.

En tant que gays et lesbiennes nous avons vraiment besoin de réinventer la roue afin de transformer la lutte pour la libération des gays et des lesbiennes en un mouvement de masse global et réellement démocratique qui refuse de faire des compromis ou d'obéir aux dictats de systèmes d'exploitation injustes. Chaque jour grandissent l'urgence et les enjeux d'un tel projet. L'Etat capitaliste/policier a recours à des mesures plus dures en ce qui concerne l'ajustement structurel économique et à la militarisation grandissante de la vie publique afin de renforcer son pouvoir et, plus directement, l'intensification des attaques politiques, culturelles et physiques sur les gays et les lesbiennes et la notion même d'identités gay et lesbiennes sont rapidement en train de mener à un état de guerre ouverte contre nous. Les questions d'organisation auxquelles nous avons à faire face en tant que gays et lesbiennes anti-autoritaires sont, sur de nombreux points, similaires à celles qu'il a fallu traiter pendant tout le début de la lutte mondiale contre la domination de l'état capitaliste/raciste/sexiste /policier et je prétends que nousavons besoin de prendre certaines des mêmes initiatives comme d'autres organisations et mouvements l'ont déjà fait, en consacrant de serieux efforts à l'organisation au niveau de la communauté, à la construction d'alliances avec d'autres luttes pour la libération (une tactique que le mouvement « mainstream » a perdu de vue depuis longtemps) et en exprimant clairement une analyse gay et lesbienne anti-capitaliste, anti-autoritaire qui fasse apparaître le lien étroit entre notre oppression et un système de domination plus étendu et qui régit nos vies. Dans l'abstrait, cela semble assez facile. La réalité est néanmoins plus décourageante, bien que des organisations existent (ou sont émergeantes) qui, expriment les formes que devrait prendre un mouvement plus radical de libération gay et lesbien. Act-up Philadelphie nous en offre un exemple instructif. Depuis plus de 15 ans, ils/elles travaillent au sein de la communauté gay et lesbienne de Philadelphie pour faire face au racisme, aux institutions homophobes publiques et religieuses, et pour fournir un soutien direct aux gays et lesbiennes séropositifs-tives ; plus récemment ils/elles ont contribué à l'élaboration et à l'exécution de plusieurs actions de masse, en particulier les protestations contre la Banque mondiale et le FMI et la mobilisation contre. la Republican National Convention l'été dernier (une situation dans laquelle ils/elles ont fait -l'expérience d'une répression policière sévère; une organisatrice d'Act-Up, Kate Sorenson doit, à l'heure où l'on imprime, faire face à un procès pour six motifs d'accusation inventés de toutes pièces). Parmi les priorités qu'un réel mouvement gay et lesbien radical devrait aborder aussi rapidement et avec autant d'énergie que possible, il y a la vague de violence et de harcèlement dont souffrent les jeunes gays et lesbiennes à l'école. Des groupes tels que Queer Liberation Front, récemment réapparu, ont mis ce sujet en tête de liste de leurs efforts, et bien que cette forme d'action directe comporte des risques importants, nous devons reconnaître (et, par notre propre expérience pendant l'enfance et l'adolescence nous le savons déjà probablement, et si non, au moins au niveau du subconscient ) que la guerre contre les jeunes gays et lesbiennes est en première ligne d'une attaque homophobe et patriarcale plus générale menée pour nous détruire. La poète lesbienne Afro-Américaine, Audre Lorde, avait bien raison quand elle expliquait qu'on ne peut pas se servir des outils du maître pour détruire la maison du maître. C'est le moment historique, stratégique et opportun pour nous de laisser tomber ces activistes et ces organisations qui semblent être plus intéressés pour réclamer la part de la maison du maître qui leur revient de « droit » que de mener une lutte significative pour une vraie libération de toutes les communautés gays et lesbiennes.

Tom Thomson est un activiste établi à Gainesville en Floride.

Il aimerait beaucoup avoir des retours sur son article.Vous pouvez le contacter sur xsomethtx@hotmail.com